Les correcteurs orthographiques et grammaticaux
Les correcteurs grammaticaux sont de piètres correcteurs orthographiques, moins performants en tout cas que les vérificateurs intégrés dans les traitements de texte, ceci étant sans doute dû à l'insuffisance de leurs bases lexicales. Les vérificateurs orthographiques français sont relativement satisfaisants, c'est-à-dire qu'ils sont capables de reconnaître un mot qui ne figure pas dans leurs dictionnaires et de proposer un ou plusieurs mots de substitution avec une assez bonne approximation. Ils sont pourtant très perfectibles. En effet :
Leurs bases lexicales sont insuffisantes. Beaucoup de mots figurant dans un dictionnaire courant comme le Larousse ou le Robert leur sont inconnus. Ainsi pour ne prendre que la première page de la lettre "C" du petit Larousse, la plupart des vérificateurs orthographiques ignorent "caatinga", "cabasset" et "cabèche". Plus étonnant, les mots "paramétrage", "développeur", "fonctionnalités" ou "stylistiques" n'ont pas droit de cité pour ces vérificateurs. Les mots grossiers ont souvent été censurés, ce qui est tout bonnement effarant. Les noms propres y sont rares, les abréviations aussi. Ainsi "Larousse" ou "Mitterrand" sont inconnus des vérificateurs usuels qui proposent "larrons" et "miterai". Cela est d'autant plus sidérant que l'oubli d'un "t" et surtout d'un "r" à "Mitterrand" est très fréquent, même dans de grands quotidiens !
Les mots composés et expressions, surtout lorsqu'il n'y a pas réunion par un trait d'union, sont peu ou mal traités. La plupart des vérificateurs accepteront "la vache a deux corn" car l'expression "pop corn" est traitée en deux mots distincts. Ils accepteront aussi "c'est un à priori" au lieu de "c'est un a priori" ou encore une phrase comme "le modus est vraiment vivendi". A contrario ils ne sauront quoi vous proposer si vous écrivez "un hot-dog" ou "à qui mieux-mieux" car le trait d'union superflu n'appartient visiblement pas aux domaines d'erreurs traités.
En cas de mot inconnu, les propositions de mots sont souvent trop nombreuses, d'autant que le mot est court. Ces propositions sont parfois faites dans l'ordre alphabétique ou même par longueur de mot et, si une analyse relative permet à ces vérificateurs de faire figurer le mot juste parmi les propositions, il figure encore trop souvent en deuxième ou troisième position. Lorsque la faute se situe en début de mot, les propositions sont souvent incohérentes quand il y en a. Ainsi sur le mot "himuable" et malgré leur module de phonétisation, les vérificateurs ne trouvent pas le mot juste.
Le traitement phonétique prime sur les probabilités d'erreur. Notre corpus d'erreurs nous a montré que les reproductions phonétiques de mot sont rares, sauf chez l'enfant. Il serait préférable de mettre l'accent sur les erreurs fréquentes comme les interversions de lettres ou les ajouts et oublis d'espaces.
Ces vérificateurs, malgré leurs insuffisances, rendent toutefois des services et ont été adoptés par la plupart des utilisateurs de traitements de texte. Il n'en va pas de même des vérificateurs grammaticaux. Nos enquêtes auprès des utilisateurs nous laissent à penser que moins d'un tiers des habitués du traitement de texte utilisent le correcteur grammatical intégré ou un correcteur externe. Cette désaffection semble avoir différentes causes :
Ignorance de l'existence du correcteur grammatical. La pagination très réduite réservée aux correcteurs dans les manuels de traitement de texte est peut-être en cause, à moins que ce soit l'intégration encore récente de ces outils qui en soit responsable. Quoi qu'il en soit une fraction non négligeable des utilisateurs ne savent même pas qu'ils possèdent un correcteur grammatical.
Méfiance instinctive fréquemment associée à la haute idée que l'utilisateur se fait de son orthographe et de l'attention qu'il porte à son texte. Pourquoi effectuer une vérification grammaticale quand on ne fait quasiment pas de fautes ? Cette attitude trouve d'ailleurs une justification dans le nombre assez élevé de messages erronés ou inadéquats fournis par les correcteurs, en proportion d’autant plus grande que le texte d’origine est sans fautes. Dans ce cas, l’utilisation du correcteur devient très fastidieuse et l’on pourrait presque dire que meilleure est l’orthographe, plus les fausses erreurs sont proportionnellement fréquentes et moins le correcteur est utilisé. Mais cette méfiance est partagée par les utilisateurs commettant de nombreuses fautes. Ceux-ci, souvent peu sûrs de leur orthographe, s’aperçoivent en effet, à l’occasion d’une relecture par un tiers ou d’une vérification dans un manuel de grammaire, que le correcteur leur a fait ajouter une faute dans le texte.
Lourdeur d'utilisation. Ce reproche s'applique surtout aux correcteurs externes dont l'utilisation à partir d'un traitement de texte est souvent complexe, faute de macros d'appel ou par insuffisance de formats d'importation et d'exportation. À cela s'ajoute, pour certains correcteurs, une lenteur d'analyse évidente, vécue comme insupportable par nombre d'utilisateurs.
Manque d'ergonomie et de convivialité. La plupart des correcteurs disposent d'une aide très réduite, souvent de simples messages de commentaires d'erreurs en termes parfois abscons. Des fonctions aussi habituelles que le couper-coller, l'édition du texte courant ou le multi fenêtrage sont encore rares dans les correcteurs, lesquels disposent d'une interface fruste.
Insuffisance des bases lexicales. Les critiques que l'on peut faire aux vérificateurs orthographiques s'appliquent plus encore aux correcteurs grammaticaux. L'étroitesse des dictionnaires de noms propres y est encore plus grande et les propositions parfois surréalistes.
Ces critiques portent sur les correcteurs actuellement commercialisés et ne tiennent compte que de leurs caractéristiques. On pourrait ajouter que l'absence d'un paramétrage et le nombre très restreint de fonctions connexes à la correction (tous fournissent un conjugueur mais un logiciel seulement fournit des statistiques, un autre fournissant une analyse grammaticale) constituent également des insuffisances.
Pour reprendre les propres termes de l'un des utilisateurs interrogés, "tout se passe comme si les programmeurs des correcteurs, tout heureux du nombre de fautes corrigées par leur produit, avaient oublié qu'un logiciel doit aussi être facile à utiliser, disposer d'une aide complète et des fonctions couramment disponibles sur d'autres logiciels". Mais au-delà de ces critiques d'humeur, ce sont les reproches faits au processus de correction lui-même qui ont le plus de poids, d'autant que nos tests comparatifs en apportent la confirmation :
Sur un ensemble de 1000 phrases comportant une erreur par phrase et issues, sans tri préalable, de textes non relus et non corrigés de journalistes de "Libération", les correcteurs trouvent entre 37 % et 67 % des fautes (à titre indicatif CORDIAL en détecte 81 %). Ces résultats pèchent d’ailleurs par excès car nous avons considéré une erreur signalée comme corrigée même si le correcteur proposait plusieurs possibilités de correction. Par ailleurs sur des ouvrages "classiques" comme "Huis clos" ou "L’étranger", ces correcteurs fournissent entre 1 et 10 faux messages d’erreurs par page.
Cette médiocrité des corrections et cet afflux de messages inadéquats sont souvent ressentis comme insupportables par l’utilisateur, lequel attend toujours un correcteur puissant et convivial, même lorsque faute de mieux il utilise les logiciels existants.
Au-delà des fonctionnalités et des performances comparées, un test comparatif des correcteurs grammaticaux devrait, à notre sens, prendre en compte l'ensemble des messages d'erreurs fournis, vrais ou faux, et porter sur du texte "tout-venant" issu si possible de plusieurs scripteurs. Ainsi, en acceptant par exemple l'ensemble des propositions de corrections sur ces textes, il suffirait de compter au final le nombre de fautes (non corrigées ou ajoutées par le correcteur) pour obtenir une évaluation réaliste des performances de chacun des correcteurs.